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Mireille Pérodin Jérôme, une vie de témoignages

La maison familiale n’était pas seulement le quartier général de tous les enfants du quartier de haut Turgeau  riches comme pauvres car on ne faisait pas de différence, mais aussi pour tous tes condisciples de l’Ecole Normale.  Et sur la galerie, tous les enfants étaient penchés à tes lèvres pour écouter tes analyses des faits historiques, donc apprendre de toi.  C’est d’ailleurs ce qui m’a donné le goût d’enseigner les mathématiques en utilisant ta méthode didactique.

Tu as été un modèle pour tous tes élèves filles et garçons. Pour les filles, tes tenues vestimentaires dessinées par ton cher époux de même que tes coiffures étaient copiées par toutes les jeunes filles de la ville et pour les garçons, le modèle de la femme idéale, intelligente, perspicace, douce et tendre mais ferme à la fois.

Mimi, tu as laissé l’enseignement pour rentrer dans l’art avec Jean René, avec la même passion. Et peu de temps après son ouverture “Les Ateliers Jérôme” était devenu, par ta touche, le siège de la beauté artistique et du savoir à Port-au-Prince. Tout Port-au-Prince y défilait jeunes comme vieux.  Des expositions des plus grands peintres haïtiens ont eu lieu. Des après-midi de formation sur l’art, le cinéma et j’en passe. Tu as poussé beaucoup de jeunes peintres et leur a fait atteindre le sommet de leur art en les faisant prendre conscience de leur talent. 

Marie Ginette Pérodin Mathurin

L’apport de Mireille dans la lutte syndicale enseignante a été précieux du fait de son tempérament enclin à la conciliation et son calme empreint de sérénité la prédisposant à l’écoute de l’autre. Ses atouts ont maintes fois aidé à calmer les tensions dans ce brûlot qu’était la CNEH dans les moments de batailles revendicatives intenses et difficiles des débuts.

Carl-Henri Guiteau

  Ex- Secrétaire Général de la CNEH 1986 – 1994

En tant que petite sœur de Jean-René, j’ai eu le privilège d’avoir une relation plutôt spéciale avec Mireille. Très peu de temps après leur mariage, mon père étant récemment décédé, Mireille et Jean-René ont décidé de nous accueillir, ma mère, ma sœur Marie-José et moi, dans leur nouveau foyer. Ceci marqua le début d’une relation qui m’a permis de connaître et aimer Mireille comme une grande sœur. Durant la même période, elle devint mon professeur d’Histoire d’Haïti à Sainte Rose de Lima, ce qui a encore renforcé nos liens, puisqu’elle devint aussi une image de sœur aînée pour mes amies les plus proches quelle n’hésitait pas à inclure lors des nombreuses réunions d’amis qu’ils aimaient organiser à Carrefour. 

Judite Jérôme

Quand,  en 2015, j’ai eu la joie de visiter ” Haïti. Deux siècles de création artistique”, dans le plus grand centre d’expositions de Paris, j’ai eu l’illusion de rencontrer Mireille et de la féliciter, car elle en était co-commissaire, mais  je ne l’ai pas retrouvée… Mireille Pérodin fut l’épouse de Jean-René Jérôme. disparu prématurément,  un très grand peintre au talent multiple, et elle a tenu brillamment ses ateliers. 

Elle a su à la fois être critique d’art, directrice de galerie et  de centre culturel, productrice d’évènements nationaux et internationaux. Son absence est irréparable.

Marianne de Tolentino 

Après la mort de Jean-René Jdr6me en 1991-, Mireille fait appel en 1992, en plein coup d’€tat militaire i des professionnels de I ‘art pour organiser une grande rétrospective des oeuvres de l’artiste. Suite au succès de cet événement auprès du grand public, le comité€ organisateur constitue prit Ia décision, après multiples réflexions sur l’art haïtien et son devenir, de créer la Fondation Culture Création, institution citoyenne dont Ia mission principale est de travailler i la promotion de l’art haïtien moyennant des expositions, des conférences et séminaires, des ateliers d’art et des publications. A L’unanimité Mireille a 6td choisi pour être [a première personne a occupé€ le poste de présidente de cette importante institution.

Délano Morel

[…] Notre première longue conversation tournait autour de Basquiat. On était sûr tous les deux que des Basquiat courent les rues de Port-au-Prince ou de Bombardopolis, et qu’on pouvait d’ailleurs en trouver dans les ateliers à ciel ouvert de Rivière Froide, ou de la Grand-rue, chez ceux qui mélangent avec succès ces ingrédients explosifs: misère et liberté. De Basquiat, on disait que ce qui le distinguait des peintres haïtiens, c’était ce terrible désespoir chevillé au corps de tous ces artistes qui vivent au cœur de ce capitalisme sauvage américain. Cette solitude qui pousse à l’overdose. On concluait que la fin de l’artiste de New York aurait été différente s’il avait choisi de se soigner en Haïti par ce soleil rouge de la fraternité, dont parle Jacques Stephen Alexis, qui n’exclut pas la douce lune bleue de la belle amour humaine. […} Je me souviens des éclats de rire de Mireille durant cette conversation. De temps en temps, elle se levait pour régler quelques affaires à l’arrière et revenait encore plus affamée par nos confidences. On n’oubliera pas de sitôt cette élégance, de corps et d’esprit, qu’elle garde même au milieu des propos les plus passionnés. Ni ce visage finement ciselé, toujours en mouvement, comme pour épouser les formes de ses idées les plus subtiles. Puis brusquement ce visage se fige, dans un masque chinois (les yeux bridés). Ce félin avant le bond fatal, c’est Mireille en train de réfléchir.

L’intelligence, ne l’oublions pas, même quand la modestie de Mireille pourrait nous tromper, est un trait de son caractère. Après des propos d’individus louches à la télévision qui pourraient me déprimer au point de douter de mon pays, je n’ai qu’à penser à cette conversation avec Mireille pour reprendre courage. Ce courage me semble aujourd’hui aussi concret qu’une douleur, celle de la disparition de Jean-René, ou cette joie sauvage d’avoir connu Mireille.

Dany Laferrière, « Bonne nuit Mireille », Le Nouvelliste, 11 avril 2023

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